C'est un des domaines les plus débattus de la musicologie. Non sans raison, car les tonalités ne relèvent pas d'une explication rationnelle. On peut dire, au plus, que dans l'accord tempéré, les 24 tonalités majeures et mineures se composent des notes correspondantes et qu'il règne entre elles, les mêmes rapports fluctuants. Mais la question se pose alors du choix du "la" du "Kammerton" (diapason de chambre). Que penser alors du caractère tonal, puisque la tonalité choisie par le compositeur ne reste pas stable.
Joué par des orchestres qui sont de nos jours, accordés en général assez haut, la "Symphonie de Beethoven en do mineur" semble résonner en "do dièse mineur". Elle conserve néanmoins son caractère de do mineur On voit donc que le caractère tonal n'est qu'une convention. Les grecs accordaient à leurs tonalités une expression spécifique mais cela ne prouve rien, car il est évident que le demi-ton assure une nature tonale persistante. On a vu se modifier les demi-tons des modes religieux médiévaux. Que le dorique ait été pris dans le sens antique prouve qu'on ne peut pas expliquer le caractère tonal par la construction de notre système tonal, pas non plus, donc, par les données physiques.
Depuis le 16 siècle, certains 6modes religieux passent pour gais, d'autres pour tristes. Depuis qu'à l'aide du système tempéré, on peut employer toutes les tonalités, on a toujours essayé de nouveaux caractères tonals. J. Mattheson a pensé en 1713, que "mi majeur exprime une tristesse désespérée, sinon mortelle... et qu'il a dans certaines circonstances, quelque chose de si déchirant qu'il ne peut être comparé qu'à une séparation fatale du corps et de l'âme". A l'opposé, Berlioz considérait le mi majeur comme "éblouissant, magnifique, noble...". On comprend alors l'opinion de Wagner pour qui le caractère tonal n'était qu'une "chimère".
Tout le monde n'a pas pensé comme Wagner : Beethoven assure avoir choisi soigneusement les tonalités de son "Fidelio". En sélectionnant, pour le personnage de "Pizarro" un accord en sol dièse majeur, il voulait exprimer une "caractéristique individuelle". R. Franz souffrait mille morts quand on chantait un de ses petits lieder dans une autre tonalité que prévue. De même pour les oeuvres de Bach en si mineur, tonalité préférée de ce compositeur.
On retrouve le génie de Haydn dans sa prédilection pour les tonalités simples comportant 2 altérations au maximum : do majeur, sol majeur, ré majeur, alors que les Romantiques, de Chopin à Debussy, ne jurent que par les tonalités avec beaucoup d’altérations. De même pour Beethoven avec son goût prononcé pour ré majeur et ré mineur. Ce n'est pas non plus un hasard si le "Lohengrin" de Wagner est en la majeur et son "Parsifal" en la bémol majeur. Fa majeur, lui, a toujours été considéré comme un mode exprimant la Nature : on le retrouve évidemment dans la "Pastorale" de Beethoven.
Certains vont encore plus loin en prétendant que les chutes d'eau résonnent en fa majeur. Au-delà des spéculations douteuses, le caractère tonal relatif est une réalité : le passage de do majeur en la majeur puis en fa mineur amène une évidente tension. La 6e série des quintes des tonalités ascendantes augmente la tension alors que celle qui mène au si bémol provoque un relâchement. C'est dans cet esprit qu'il faut comprendre la perception de ce problème contenu dans la préface d'Hindemith pour la refonte de sa "Marienleben" de 1947, où il identifie des personnes, des entités réelles ou irréelles de son oeuvre à des tonalités musicales.